Musique d'art (2019)
violon, alto, violoncelle, contrebasse et traitement — 50 minutes
Le premier pas vers l’inconnu est une dissonance. L’avancée est dynamisée par l’instabilité : chaque nouveau pas se propose comme la résolution de ce qui précède. Le dernier pas vers l’inconnu est un silence.
Mot du compositeur
J’ai entendu parler de l’Ensemble Musikfabrik pour la première fois en voyant leurs vidéos sur YouTube. Ces vidéos présentaient le processus de reconstitution des instruments de Harry Partch (1901-1974), ce compositeur étatsunien qui a jeté les bases modernes de l’harmonie fondée sur le nombre (just intonation), à laquelle je m’intéresse. J’ai tout de suite été fasciné par Musikfabrik, mais travailler avec eux demeurait un rêve lointain.
En 2016, j’ai profité de ma résidence au centre d’art Hellerau à Dresde, pour aller visiter Musikfabrik dans leur studio de Cologne. Je m’y suis senti comme dans un magasin de bonbon. En 2017, je leur ai proposé le projet de concert Musique d’art (2019) et ils ont accepté à mon grand plaisir.
Musique d’art (2019) est une œuvre pour violon, alto, violoncelle, contrebasse et traitement. Dans ce cas, le traitement est une amplification du son des instruments retransmis avec un délai de quatre secondes et circulant lentement entre les quatre haut-parleurs situés aux quatre coins de la pièce. La musique est constituée de long sons, toujours assez doux, qui constituent des accords que j’ai composés (du latin « componere », « mettre ensemble ») à la façon d’une trame ininterrompue.
La construction formelle de l’œuvre est très simple : j’y intègre peu à peu des harmoniques de rang croissant. Voici ce que sont les harmoniques. La vibration d’une corde à vide (sans doigté) produit la fréquence fondamentale de la corde, soit 1. En plus de sa fréquence fondamentale, une corde peut produire un certain nombre de ses harmoniques si elle est effleurée du doigt, plutôt qu’appuyée contre la touche. L’harmonique obtenu est proportionnel à la position du doigt par rapport à la longueur de la corde :
- l’harmonique 2 est obtenu à la demie (1/2) de sa longueur;
- l’harmonique 3 au tiers (1/3 ou 2/3);
- l’harmonique 4 au quart (1/4 ou 3/4);
- l’harmonique 5 au cinquième (1/5, 2/5, 3/5 ou 4/5);
- l’harmonique 6 au sixième (1/6 ou 5/6);
- l’harmonique 7 au septième (1/7, 2/7, 3/7, 4/7, 5/7 ou 6/7).
- etc.
Ces harmoniques sont présents à faible intensité dans la sonorité de la corde à vide elle-même; c’est ce qui donne sa richesse au son de l’instrument. Aussi, la fréquence de vibration de la corde est inversement proportionnelle à sa longueur : la demie d’une corde vibre à la fréquence double, le tiers d’une corde vibre à la fréquence triple, etc. Par extension, toute hauteur musicale peut-être dite harmonique si elle se compare ainsi à une autre par une proportion de nombres entiers de fréquences.
Les harmoniques que j’ai utilisés sont : 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19 et 23.
L’harmonique 3 produit des intervalles stables et puissants, ce qui sied naturellement à une introduction. L’harmonique 5 permet de constituer des accords majeurs et mineurs relativement conventionnels. La sonorité de l’harmonique 7 est aussi plutôt familière. À la moitié de la pièce, signalée par le retour de la corde à vide du violoncelle solo, les harmoniques 11, 13 et 17 se succèdent et créent de plus en plus de tension. Cette tension culmine avec l’arrivée de l’harmonique 19, que j’ai utilisé pour créer des accords mineurs particulièrement dramatiques, notamment par leur disposition très élargie dans le registre. L’harmonique 23 n’est utilisé qu’une fois, comme point culminant dans le suraigu, avant que l’œuvre ne se conclut.
L’interprétation de cette œuvre demande une précision d’intonation remarquable de la part des musiciens. Je croyais au départ qu’ils allaient utiliser un accordeur précisant au centième de demi-ton près, comme nous le faisons régulièrement en musique contemporaine. Mais, les musiciens m’ont indiqué que s’ils devaient suivre l’accordeur, ils n’allaient pas se suivre entre eux de la même façon. C’est donc entièrement à l’oreille que tout ceci fut interprété en concert en 2019, aussi bien que durant l’enregistrement de l’album en 2020. Le privilège d’avoir pu travailler avec Musikfabrik me permet de rêver encore davantage.
Crédits
Composition : Simon Martin
Interprétation : Ensemble Musikfabrik
- Sara Cubarsi Fernandez, violon
- Axel Porath, alto
- Dirk Wietheger, violoncelle
- Florentin Ginot, contrebasse
Sonorisation : Jean-François Blouin
Lumière : Andréa Marsolais-Roy
Production : Projections libérantes
Citation de presse
Concerts
11.03.2019 – Musikfabrik – Cologne, Allemagne
24.02.2019 – Festival Montréal/Nouvelles musiques – Montréal, Québec
photos par Jérome Bertrand, 2019